Après délibération conformément à la loi
Sur l’exception d’irrecevabilité du pourvoi :
Attendu que la société intimée a soulevé l’irrecevabilité de la demande de pourvoi en cassation introduite par la banque, au motif que l’arrêt rendu en matière contentieuse, objet du pourvoi en cassation, a été rendu à l’encontre de la banque ayant introduit l’action initiale, et que par conséquent, le demandeur actuel est un tiers étranger au litige, sollicitant ainsi l’irrecevabilité de la demande.
Mais attendu que le demandeur a produit un procès-verbal d’assemblée générale daté du 21 décembre 2018, attestant du changement de dénomination du demandeur de la banque X à la banque Y, ainsi qu’une copie du registre de commerce confirmant ce changement, changement survenu postérieurement à l’introduction de l’action, objet du présent dossier. Par conséquent, l’exception soulevée est infondée et doit être rejetée.
Au fond :
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier et de l’arrêt attaqué que la banque demanderesse a introduit devant le tribunal de commerce de Fès, le 2 septembre 2015, une requête introductive d’instance, le 10 février 2016, une requête additionnelle, et le 15 juin 2016, une seconde requête additionnelle, exposant que la société intimée avait bénéficié de trois prêts, le premier remboursable par échéances fixes d’un montant de 2 000 000,00 dirhams, le deuxième et le troisième dans le cadre de facilités de caisse d’un montant de 1 500 000,00 dirhams, tous garantis par des cautions hypothécaires d’un montant de 3 600 000,00 dirhams. Et que le montant desdits prêts a augmenté en raison des intérêts à un montant de 4 211 158,51 dirhams au 5 juin 2015, précisant que les montants non couverts par les garanties hypothécaires s’élèvent à 611 158,51 dirhams, et que les défendeurs Ilham, Mohamed et Mohamed ont cautionné solidairement la première défenderesse, en vertu d’un contrat de cautionnement dont la signature a été légalisée le 22 octobre 2009, ajoutant que la créance est également garantie par un nantissement sur le fonds de commerce, les équipements et le matériel d’équipement s’y trouvant, appartenant à la société débitrice et situés à la commune d’Aghbalou Aqorar Sidi Ali Embarek Bahlil Sefrou, inscrits auprès du tribunal de première instance de Sefrou sous le numéro 601, et que toutes les tentatives amiables de recouvrement de la créance ont échoué, et en conséquence, a demandé à ce que les défendeurs soient condamnés solidairement à lui verser la somme de 611 158,51 dirhams avec les intérêts contractuels de 9,59% et 11,95%, les intérêts légaux et les intérêts de retard à compter du 6 juin 2015 jusqu’à l’exécution, avec la taxe sur la valeur ajoutée et une pénalité de 10% du montant total de la créance conformément aux articles 11 et 13 des contrats de prêt, et la vente dudit fonds de commerce, et l’affectation de son prix au paiement de la créance. La défenderesse, la société, a répondu par un mémoire avec demande reconventionnelle, sollicitant le rejet de la demande initiale, et dans la demande reconventionnelle, la condamnation de la banque pour responsabilité des erreurs bancaires consistant en des prélèvements de fonds sur son compte sans son autorisation, l’absence de clôture de son compte bancaire et son transfert au service contentieux et la poursuite des frais de tenue de compte bancaire et l’attente de quatre ans pour la poursuivre en justice pour le paiement du montant de la créance alléguée, sollicitant une provision de 5 000,00 dirhams et une expertise comptable pour examiner lesdites erreurs, et après la réalisation de celle-ci par l’expert Mohamed Othmani, et la présentation par la défenderesse d’une demande de rectification de sa demande reconventionnelle, en sollicitant une provision de 3 000 000,00 dirhams, et une expertise pour déterminer l’étendue du préjudice subi par elle en raison des erreurs bancaires commises à son encontre par la banque demanderesse, et après l’achèvement des procédures, le tribunal de commerce a rendu son jugement définitif condamnant la défenderesse et les autres défendeurs solidairement à verser à la banque demanderesse la somme de 611 158,51 dirhams avec les intérêts légaux à compter de la date du jugement jusqu’à l’exécution, et en cas de non-paiement, la vente du fonds de commerce appartenant à la première défenderesse ainsi que des équipements et du matériel d’équipement s’y trouvant après fixation du prix de départ de la vente aux enchères publiques par un expert, le produit de la vente étant affecté au paiement de la créance du demandeur, et le rejet de la demande reconventionnelle. La société condamnée, ainsi que les cautions Ilham, Mohamed et Mohamed ont interjeté appel, les appels ayant été joints, et une première expertise comptable a été réalisée par l’expert Abdelghafour El Ghiyat, une deuxième expertise a été réalisée par l’expert Mohamed Adel Benzakour, puis une troisième expertise par l’expert Skouri Mohamed Alaoui, et après la présentation par la société appelante d’une demande reconventionnelle sollicitant la condamnation à son profit du montant de l’indemnisation fixé par le dernier expert à 11 891 955,18 dirhams, et la compensation entre ce montant et la créance due à la banque et fixée à 2 719 282,93 dirhams, et après l’achèvement des procédures, la cour d’appel de commerce a annulé le jugement entrepris et statuant à nouveau, a rejeté la demande principale, et dans la demande reconventionnelle, a condamné la banque appelante à verser à la société la somme de 10 000 000,00 dirhams, et a rejeté la demande de compensation, par l’arrêt attaqué.
Sur les moyens troisième, cinquième, septième, huitième et le deuxième alinéa du premier moyen :
Attendu que le demandeur en cassation reproche à l’arrêt la violation de l’article 264 du dahir formant code des obligations et des contrats, l’insuffisance de motivation assimilable à une absence de motivation, et le défaut de base légale, au motif que la cour ayant rendu l’arrêt a validé le rapport d’expertise réalisé par l’expert Skouri Mohamed Alaoui, et a tenu le demandeur responsable du rejet de chèques et de lettres de change émis par l’intimée au profit de ses fournisseurs et partenaires sans paiement, malgré l’existence de la provision et le non-dépassement par l’intimée du plafond convenu, ce qui a entraîné plusieurs procédures judiciaires à son encontre par lesdits fournisseurs et les administrations publiques, alors qu’il n’existe dans le dossier aucune preuve des références des chèques et lettres de change rejetés sans paiement, ni aucune preuve des actions introduites contre la société, et que la cour a fondé l’évaluation de l’indemnisation sur le rapport de l’expert mentionné qui a considéré que le manque à gagner est constitué des bénéfices perdus depuis la date de cessation de l’activité de la société intimée jusqu’à la date de l’expertise, qui aurait dû être prouvé par les déclarations fiscales de l’intimée, lesquelles étaient contraires à celles fournies à la banque, ce qui a incité cette dernière à porter plainte pour faux, sans indiquer les éléments précis sur lesquels l’expert s’est fondé dans ses estimations et sans tenir compte des règles comptables généralement admises dans ce domaine, et a fixé l’indemnisation pour la perte des machines et équipements en l’absence de tout document ou preuve attestant de la perte alléguée, ou de tout document comptable indiquant leur valeur et leur nature, se contentant d’une conclusion personnelle non objective, et la cour ayant rendu l’arrêt a retenu le rapport de l’expert mentionné et a déduit de la créance de la banque demanderesse en cassation le montant de trois chèques de 800 000,00 dirhams, que la société (G) avait reçus de l’intimée en tant que bénéficiaire, et que celle-ci l’avait chargé de recouvrer auprès de la société tirée après rejet sans paiement, ce qui l’a motivé à déposer plainte à ce sujet pour défaut de provision de chèque à la présentation et déclaré la créance en résultant auprès du syndic de la liquidation judiciaire de la société tirée, au nom de sa cliente la société en vertu de la procuration qui lui a été délivrée par celle-ci, et malgré cela, l’expert et la cour qui a validé son rapport ont considéré que les montants desdits chèques sont à la charge de la banque demanderesse et ont été déduits de la créance, au motif qu’elle a conservé les chèques en question et a exercé les procédures judiciaires en son nom propre sans se substituer à l’intimée, et que la cour, ce faisant, a violé les dispositions légales dont la violation est invoquée, rendant ainsi son arrêt insuffisamment motivé assimilable à une absence de motivation et dépourvu de base légale, ce qui entraîne sa cassation.
Attendu que la cour ayant rendu l’arrêt attaqué a considéré « que les chèques déposés par la société dans son compte et revenus impayés, dont la banque a choisi de suivre la procédure de recouvrement, objet de la plainte de la banque en son nom, ne portent aucune mention de la société ni de la mention de substitution, preuve en est que la déclaration de créance de la banque auprès du syndic de la liquidation judiciaire de la société l’a désignée comme créancière en se l’appropriant et en conservant les chèques, ce qui a privé la bénéficiaire d’exercer son droit de recours contre le tireur en temps utile, alors que la remise du titre de commerce à son titulaire est considérée comme le résultat d’un contrat de dépôt tacite, et par conséquent, l’expert a conclu à juste titre à la déduction du montant de 1 092 221,60 dirhams résultant de trois chèques de 800 000,00 dirhams, auquel s’ajoutent les intérêts et la taxe sur la valeur ajoutée… et que la banque, suite au rejet de chèques et de lettres de change émis par sa cliente au profit de ses fournisseurs et partenaires sans paiement, a entraîné plusieurs procédures judiciaires à l’encontre de la société par les fournisseurs et employés ainsi que par les administrations publiques et que l’expert a à juste titre fondé l’évaluation du chiffre d’affaires de la société sur les montants déposés dans son compte bancaire ouvert auprès du demandeur au titre de l’année 2011 et a ainsi conclu que le montant total des dépôts est de 5 267 114,58 dirhams, et que l’étude de terrain a révélé que le taux de profit qu’une entreprise exerçant la même activité que l’appelante peut réaliser varie entre 25 et 27 pour cent par an, ajoutant que, sur la base d’une autre étude personnelle auprès de certains milieux spécialisés, il a considéré que le bénéfice net est de 15 pour cent, le taux moyen étant de 16,5 pour cent, soit 869 073,93 dirhams par an et pour une durée de 9 ans, le bénéfice perdu s’élève à 7 821 665,37 dirhams… et la valeur de la perte des machines et équipements à 4 070 289,81 dirhams. », sans examiner le moyen du demandeur en cassation selon lequel il a exercé les procédures judiciaires pour recouvrer la valeur des chèques en question à l’encontre du tireur en tant que mandataire de la société, ni discuter des preuves qu’il a fournies pour établir cela, à savoir une procuration pour agir en justice signée par son représentant légal le 13 août 2012 et légalisée par lui le 15 août 2012, la lettre adressée par lui au syndic de la procédure de liquidation judiciaire de la société tirée des chèques en question le 24 octobre 2016, dans laquelle il a déclaré la créance en résultant au profit de la société, et également une copie de la plainte pour émission de chèque sans provision au nom de la dernière société le 24 août 2012, et sans déterminer sa position sur ce qui a été mentionné ou l’écarter comme irrecevable, et sans répondre, lors de l’examen de la demande d’indemnisation pour les erreurs bancaires, à ce qui a été soulevé par le demandeur en cassation concernant l’absence d’indication des références des chèques et lettres de change rejetés par lui sans paiement ou la production de certificats de non-paiement y afférents, ni ce qui prouve l’existence des actions ou procédures d’exécution introduites contre l’intimée en raison du défaut de paiement de la contrepartie de ces effets de commerce, afin qu’elle puisse s’assurer de la preuve de la faute de la banque consistant en le non-paiement de la valeur desdits chèques et lettres de change malgré l’existence de la provision correspondante ou non, et sans prendre en considération, lors de l’évaluation de l’indemnisation accordée pour le manque à gagner et la perte des machines, l’activité de la société au cours des dernières années, et sans se contenter de ce qui a été proposé par l’expert d’adopter les montants des dépôts de la société dans son compte bancaire au cours d’une seule année, sans se fonder sur des bases techniques précises reposant sur une étude approfondie de sa situation financière au cours des dernières années, ni répondre à ce qui a été soulevé selon lequel la société exerçait son activité pendant la période pour laquelle l’indemnisation a été fixée. Et par conséquent, elle (la cour), en s’abstenant d’examiner les moyens soulevés et les documents invoqués, et en se contentant de ce qui a été retenu par le rapport d’expertise dans l’évaluation de l’indemnisation sans indiquer si elle est proportionnelle au préjudice subi ou non, a rendu son arrêt en violation de l’article 264 du dahir formant code des obligations et des contrats et l’a fondé sur des bases erronées et l’a motivé de manière insuffisante assimilable à une absence de motivation, ce qui entraîne sa cassation.
Attendu que la bonne administration de la justice et l’intérêt des parties exigent le renvoi de l’affaire devant la même cour.
Par ces motifs :
La Cour de Cassation a cassé l’arrêt attaqué et a renvoyé l’affaire et les parties devant la même cour qui l’a rendu pour qu’elle statue à nouveau, composée d’une autre formation conformément à la loi, et a condamné l’intimée en cassation aux dépens.